NOTRE TRIBUNE

25 septembre 2025


 

Euthanasie et suicide assisté : réaction des professionnels de la pharmacie exclus de la clause de conscience

 

Le contexte

Dans le cadre spécifique de la proposition de loi sur le “droit à l’aide à mourir”, votée le 27 mai dernier en première lecture à l’Assemblée Nationale1les professionnels de la pharmacie (pharmaciens et préparateurs en pharmacie) sont exclus du recours à une clause de conscience dans le cadre de la préparation et la délivrance de la préparation létale (Art. L. 1111-12-12), alors que cette disposition est explicitement reconnue et garantie pour les médecins et les auxiliaires médicaux mentionnés à l’article L. 1111-12-3 ainsi qu’aux I à V et au premier alinéa du VI de l’article L. 1111-12-4 dans le cadre de la prescription et de l’administration.

Les amendements proposés par les députés soucieux de faire corriger cette inégalité de traitement ont tous été rejetés dans un contexte de défiance contre toute proposition de modification du texte initial, y compris ceux proposant des organisations concrètes pour y répondre2.

La présidente de l’Ordre des pharmaciens3 et le président de l’un des syndicats pharmaceutiques (la FSPF, Fédération des syndicats pharmaceutiques de France)4 ont exprimé leur approbation sur les termes de l’actuelle proposition de loi, s’exprimant ainsi au nom de tous. Lors d’auditions et de prises de paroles, ils ont affirmé que notre profession « ne souhaitait pas » et « ne réclamerait pas » de clause de conscience, et à ce titre, la Présidente évoque même des sanctions disciplinaires à l’encontre des pharmaciens qui se prévaudraient d’une clause de conscience qu’ils n’ont pas. 

Pourtant, nous, pharmaciens, n’avons pas été consultés par le Conseil de l’Ordre des Pharmaciens sur un sujet de cette importance, et nous jugeons inacceptable d’être tenus à l’écart d’un débat qui nous concerne en premier lieu.

Nous sommes pharmaciens d’officine, hospitaliers, biologistes, industriels, étudiants, enseignants, préparateurs… et nous considérons qu’une telle position sur le sujet précis de l’euthanasie et du suicide assisté touche à notre vocation professionnelle, à l'éthique personnelle et à la relation de soins avec les patients.

La proposition de loi prévoit d’emblée de reconnaître et de garantir une clause de conscience aux professionnels de santé impliqués dans le processus. Ce faisant, le législateur reconnaît donc et affirme que participer à cet acte, à chaque étape de sa préparation et de sa réalisation, peut effectivement heurter la conscience et poser un problème moral. La présidente du Conseil de l’Ordre reconnait d’ailleurs que cette proposition de loi implique des “bouleversements éthiques qu’on ne peut pas ignorer et qu’il ne s’agit pas de balayer d’un revers de main, chaque pharmacien, bien entendu, peut avoir une opinion”. Le Conseil d’État lui-même affirme pour sa part que « les missions confiées par le projet de loi à ces professionnels de santé, en vue d’une assistance au suicide ou d’une euthanasie à la demande de la personne, peuvent heurter leurs convictions personnelles dans des conditions de nature à porter atteinte à leur liberté de conscience »5.

Dans ces conditions, exclure les professionnels de la pharmacie de ce droit constituerait une injustice grave et une atteinte à l’exercice de leur liberté de conscience, ainsi qu'un déni de leurs compétences, de leur rôle fondamental dans la sécurisation de la prescription, la préparation, la délivrance et de toutes leurs missions cliniques qu’ils assurent déjà auprès des patients dans leurs parcours de soins

Si les pharmaciens, comme les autres soignants, demandent la reconnaissance et la garantie de leur clause de conscience, c’est qu’il ne s’agit pas tant de convictions personnelles, aussi valables soient-elles, que du droit à ne pas enfreindre les principes structurants de notre société inscrits dans notre constitution, article 16 du Code Civil, et d’être reconnus comme acteurs de santé à part entière.

Le Conseil d’Etat, par son avis rendu le 4 avril 2024, estime que « les missions de réalisation de la préparation magistrale létale et de délivrance de la substance létale, qui interviennent après la prise de décision et avant la mise en œuvre de l’administration de la substance létale, ne concourent pas de manière suffisamment directe à l’aide à mourir pour risquer de porter atteinte à la liberté de conscience des pharmaciens et des personnes qui travaillent auprès d’eux ».

Les représentants de l’Ordre et de la FSPF allèguent quant à eux que la conscience du pharmacien ne serait pas engagée dans le dispositif d’aide au suicide assisté ou à l’euthanasie, du fait d’un concours intermédiaire au processus, entre la prise de décision et l’administration de la substance létale.

Ainsi les pharmaciens ne sauraient donc être heurtés puisqu'ils ne seraient que des “intermédiaires” ? Et dans l’hypothèse d’un circuit “anonymisé”, sous prétexte que le pharmacien pourrait ne pas savoir à qui, en particulier, serait destinée la dose létale,  - ce qui est parfaitement contraire aux bonnes pratiques de dispensation (R. 4235-48) - sa conscience ne serait pas affectée ? 

Ces allégations sont purement inacceptables.

Aucune délivrance d’un produit de santé ne peut être réalisée sans connaître l’identité du patient, ni l’indication dans laquelle le produit a été prescrit.

Comment le Conseil de l’Ordre, qui assure la promotion des missions cliniques du pharmacien comme acteur incontournable du parcours de soins et garant du bon usage des produits de santé, peut-il cautionner ces arguments ?

La substance létale constitue l’élément central et indispensable du processus. Ainsi, la réalisation de la préparation magistrale létale ou la délivrance d’une substance létale impliquera évidemment, moralement et intellectuellement, les pharmaciens et les préparateurs en pharmaciepuisque ces actes contribueront directement et sciemment à provoquer le décès d’une personne

Les pharmaciens comme les préparateurs en pharmacie ne peuvent accepter d’être considérés comme des intermédiaires ou des exécutants aveugles d’une intention qui les implique auprès du patient tout autant que les autres professionnels de santé.

 

Les professions pharmaceutiques au cœur du parcours de soins

Faut-il rappeler que le pharmacien et le préparateur en pharmacie sont les professionnels de santé de premier recours assurant au quotidien l’accueil, l’écoute, l’orientation, l’éducation thérapeutique, les conseils et la délivrance de produits de santé dont ils ont la charge d’assurer la sécurité d’utilisation auprès de tous les patients, et ce faisant concourent, de façon évidemment suffisamment directe, à la prise en charge thérapeutique des patients dans leur parcours de soins ?

Les pharmaciens et les préparateurs en pharmacie d’officine sont les premiers professionnels de santé de proximité pour la population générale et les patients atteints de maladie chronique, qui assurent la sécurité pharmacologique de leur prise en charge, tout en accueillant leurs symptômes, leurs états émotionnels, souvent leurs confidences, et ceci au moins une fois par mois, gratuitement et sans rendez-vous. C’est à eux que sont régulièrement confiées de nouvelles missions cliniques, de prévention, d’évaluation, de coordination. Est-il acceptable d’entendre qu’ils ne sauraient être concernés moralement par la mise à disposition d’un produit à visée létale?

Les pharmaciens hospitaliers et les préparateurs en pharmacie hospitalière sont impliqués dans de nombreuses actions de prise en charge directe des patients, lors des entretiens de conciliation médicamenteuse, des entretiens pharmaceutiques d’instauration ou de suivi de thérapeutiques complexes, les programmes d’éducation thérapeutique pour les pathologies chroniques, les soins pharmaceutiques en général, incluant la prise de décision collégiale en réunions pluridisciplinaires avec l’équipe médicale dont ils font intégralement partie. Seront-ils également exclus de ces missions dans le cadre de ce projet de loi?

Enfin, faut-il le rappeler, la responsabilité du pharmacien ne s’arrête pas à la “bonne exécution” de la prescription médicale. Le pharmacien est tenu, dans le cadre de l’analyse pharmaceutique de l’ordonnance concourant à la dispensation de tout médicament, de contrôler les recommandations de prescription, de s’assurer de la sécurité que représente celle-ci en matière de doses, d’interactions, au regard de l’indication, en tenant compte du contexte médical, biologique et physiologique du patient, de la préexistence de symptômes ou la survenue d’effets indésirables, conduisant le pharmacien à discuter le cas échéant, avec le médecin prescripteur, d’alternatives à sa prescription initiale. Dans ce cadre, il réalise une intervention pharmaceutique étayée et modifie la prescription, en accord avec le prescripteur, et en informe le patient. 

Le pharmacien n’est donc jamais un simple exécutant technique d’une ordonnance

Il engage, avec le médecin, au moins à part égale, sa responsabilité civile et pénale en cas d’erreur de prescription (R 4235-61)6.

Nous réclamons à ce titre que les professionnels de la pharmacie soient reconnus explicitement comme acteurs particuliers et indispensables du parcours de soin, y compris dans le processus visé par le projet de loi (concertation pluridisciplinaire, analyse de la prescription, préparation et délivrance selon les bonnes pratiques), et en assument les mêmes droits et devoirs que les autres professionnels de santé.

 

Le serment de Galien

Le serment de Galien, que nous avons prêté le jour de la soutenance notre thèse de doctorat d’Etat devant nos pairs, confrères, famille, dans la définition du soin qui prévalait alors, intégrait: « Je jure d’exercer dans l’intérêt de la santé publique ma profession avec conscience » et « de ne jamais consentir à utiliser mes connaissances et mon état pour corrompre les mœurs et favoriser des actes criminels ». 

La modification des intentions de ce serment ne saurait être prise à la légère pour les pharmaciens, comme c’est le cas pour les médecins avec le serment d’Hippocrate, il n’est donc pas décent de s’en affranchir de façon si arbitraire et brutale.

Cette proposition de loi est de nature à rompre avec la vocation et le code de déontologie des pharmaciens français, pour un acte qui passerait, du jour au lendemain, de prohibé et pénalement répréhensible à une obligation pure et simple.

En cela, cette proposition de loi ne peut être envisagée sans octroyer aux pharmaciens le même dispositif de protection individuelle que celui qui protège les autres professionnels de santé impliqués dans le processus.

 

La clause de conscience : un outil juridique qui permet de réconcilier la Loi et la liberté de conscience individuelle, au sein d’une démocratie libérale

Si la liberté d’opinion est déjà présente dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « la liberté de conscience, est reconnue par l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) et par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (1950). Le droit à l’objection de conscience est quant à lui consacré à l’article 10 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000). Le cas spécifique des professions de santé a été confirmé par la position du Conseil de l’Europe, qui s’est prononcé, le 7 octobre 20107, pour le droit à l’objection de conscience dans le cadre des soins médicaux légaux.
Dans la hiérarchie des normes, ces dispositions supranationales s’imposent au droit français »8.

Le droit à l’objection de conscience garantit ainsi à un citoyen, et ici un professionnel de santé, qu’il ne peut être contraint à déroger aux principes premiers d’un texte fondateur, dans le cas où la loi dépénalise exceptionnellement certains actes structurants de la société (ici l’interdiction de provoquer le décès).

Au sein d’une société démocratique libérale, le droit à l’objection de conscience constitue un outil juridique précieux permettant de respecter simultanément deux niveaux de moralité possiblement contradictoires : celui porté par la Loi qui a valeur de droit et qui vient dépénaliser un acte jusque là proscrit, et celui de la liberté individuelle de continuer à vivre selon ses valeurs, sans que l’un vienne menacer l’autre.

A fortiori, dans une évolution sociétale où le consentement des personnes fait unanimement figure de prérequis à tout acte, comment justifierait-on qu’un acte aussi grave puisse être imposé sans le consentement de la personne désignée pour le réaliser, si cette dernière réprouve intimement l’acte en question, du fait d’un bouleversement des valeurs qu’il entraîne ? Une sanction disciplinaire est-elle une réponse juste et acceptable dans notre société, pour des professionnels qui accomplissent par ailleurs, depuis le début de leur engagement, leurs missions avec conscience et professionnalisme ?

Ainsi, “le droit à l’aide à mourir” deviendrait-il, en France, selon la proposition de loi actuelle, pour certains citoyens, et certains seulement, une obligation, celle de concourir, sans objection possible, à un acte à visée létale sur la personne humaine?

Nous nous opposons fondamentalement à cette idée, et nous refusons d’en être les acteurs impuissants et muselés.

 

La clause de conscience n’est pas un obstacle à l’application de la Loi

La présidente de l’Ordre a déclaré, lors de son audition en Commission spéciale9, que “la décision d’accéder à la demande formulée par le patient, comme c’est écrit, est prise par le médecin, donc au terme d’une procédure collégiale dans un cadre qui est très normé, et […] elle ne peut pas être remise en cause par le pharmacien" et que le pharmacien “ne peut représenter un frein ou un obstacle à la volonté du patient et à la décision du médecin, donc à la bonne exécution de la loi" et enfin que “le pharmacien accepte et intègre la dimension collective de sa fonction” et ainsi "ne saurait disposer d’une clause de conscience", insinuant peut-être que les autres professionnels de santé n’intègrent pas la dimension collective de leurs fonctions, en bénéficiant quant à eux d’une clause de conscience ?

Nous souhaitons répondre à ces affirmations en rappelant ici clairement qu’il n’est en aucun cas question ici de faire obstacle à l’exécution de la loi qui sera votée in fine, et encore moins de remettre en cause la décision collégiale à laquelle les pharmaciens ne manqueront pas de prendre part dans le cadre de leurs diverses missions cliniques, mais de reconnaître simplement le droit de tout soignant de ne pas participer individuellement à un processus qui s’impose à lui et qui vient heurter profondément la morale ou l’éthique.

Le Conseil de l’Europe rappelle d’ailleurs que : “La pratique de l’objection de conscience par les professionnels de la santé fait l’objet d’un encadrement juridique et politique exhaustif et précis, qui permet d’assurer que les intérêts et les droits des individus souhaitant accéder à des services médicaux légaux sont respectés, protégés et réalisés”.

Pour répondre aux inquiétudes légitimes des citoyens favorables à l’évolution de la loi et à l’introduction strictement encadrée d’une “aide à mourir”, nous nous permettrons ici de rappeler les résultats d’un sondage interne réalisé par le seul syndicat pharmaceutique ayant pris la mesure de l’injustice imposée à nos professions (Syndicat national des pharmaciens des établissements publics de santé, Synprefh), et dont nous saluons ici l’action et l’engagement.

Les résultats de ce sondage, largement diffusés et présentés en audition à l'Assemblée Nationale, indiquent clairement que si la clause de conscience est très largement réclamée par les pharmaciens interrogés (82%), celle-ci ne serait opposée que de façon très minoritaire (<20%), et ne pourrait à elle-seule constituer un obstacle à l’accès à l’offre de prise en charge légale10.

Par ailleurs, différents types de dispositifs garantissant l’accès à ces dispositions légales sont déjà mis en place dans les pays qui ont déjà légiféré sur l’euthanasie et le suicide assisté (Canada, Belgique, Espagne pour ne citer que ceux-ci). Pourquoi refuser aux professionnels de la pharmacie français ce droit, lorsqu’une organisation respectueuse de toutes les consciences est possible?

Nous espérons ainsi, comme le réclame le Synprefh depuis le début de son action, que « le cas de conscience du pharmacien sera reconnu au même titre que celui des autres professionnels de santé» par l’ensemble des parlementaires qui seront amenés à se prononcer sur l’adoption de cette proposition de loi.

 

Pharmaciens en Conscience
Association Loi 1901

1Proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir, Proposition de loi, T.A. n° 122 - 17e législature - Assemblée nationale, en ligne le 27 août 2025
2Amendements rejetés : N° AS929, N° AS308, N° AS971, N° AS186, N° AS1080, N° AS1081, N°AS310, N° AS87, N° AS845 page 43, N° AS188, N° AS189, N° AS190, N° AS191, N° AS193, N° AS194, N° AS195, N° AS196, N° AS197, N° AS200, N° AS201, N° AS202, N° AS203, N° AS386, N° AS344, N° AS1017; N° AS1007, N° AS638, N° AS1018 ; N° AS850, N° AS340 ; N° AS1014 ; N° AS250 ; N° AS929 ; N° AS212 ; N° AS213 ; N° AS357 ; N° AS1029 ; N° AS214 ; N° AS216 ; N° AS217 ; N° AS220 ; N° AS221 
3Accompagnement des malades et de la fin de vie : auditions avant l'examen du projet de loi - Assemblée nationale
45 avril 2024 - 13h45 replay - Fédération des Pharmaciens de France ; consulté en ligne le 25/08/25 ; minute 9 :00
5Avis sur un projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie - Conseil d'État (4/4/24)
6CA Aix-en-Provence, 10e chambre, 9 février 2017, n° 15/16314.
7Le droit à l’objection de conscience dans le cadre des soins médicaux légaux, texte adopté par l’Assemblée le 7 octobre 2010 (35e séance), https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=17909&lang=FR
8Bauer N., Certain A., Responsabilités, droits et devoirs du pharmacien, in E. Hirsch (dir.) Fins de la Vie, les devoirs d’une démocratie, Cerf, Pars, pp 407-415.
9Compte rendu de réunion n° 4 - Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/finvie/l16finvie2324004_compte-rendu
10La pharmacie veut faire reconnaître une clause de conscience sur l'aide à mourir, Hospimedia, 7 avril 2025, https://www.synprefh.org/sites/www.synprefh.org/files/medias/file/service-adherents/defense-adherents/hospimedia_article-loi-fin-de-vie_20250407_0.pdf

 

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